Vallouimages   Vercors, Trièves

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Le Mont Aiguille,

vu de Trézanne

Mont Aiguille, vu depuis Trézanne

Photo Vallouimages - Juillet 2013

 
Mont Aiguille, vu depuis Trézanne

Photo Vallouimages - Juin 2012

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Le Mont Aiguille,

vu de Trézanne

Mont Aiguille, gravure ancienne

Gravure ancienne, fin XIXe siècle

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Couloir de la face nord-nord-est entre ses deux piliers

Mont Aiguille, couloir nord-est

Photo Vallouimages - Juin 2012

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L'Aiguille, éponyme

du Pas de l'Aiguille

Mont Aiguille - L'Aiguille, éponyme du Pas

Photo Vallouimages - Juin 2012

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Le Mont Aiguille

Un nom en question

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La question de la justification du nom se pose lorsque l'on observe le sommet sur ses différentes faces : « mont », bien sûr, mais « aiguille », certainement pas.

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Mont Aiguille au centre et Grand Veymont à droite.

Mont Aiguille au centre, Grand Veymont à droite et Tête Chevalière à gauche, depuis Goutaroux, à l'est.

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On a plutôt affaire à une tour-donjon élancée depuis le nord-est, notamment depuis le Col de Papavet, à un pavé redressé depuis le sud, à un trapèze depuis le nord, et à un pavé rectangulaire depuis l'ouest. Difficile en effet de parler d'aiguille depuis Chichilianne !

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Mont Aiguille depuis Chichilianne

Mont Aiguille depuis Chichilianne.

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Mieux, à l'opposé de l'aiguille, plusieurs descriptions et représentations anciennes font état d'une pyramide inversée :

« (cette montagne) est d'une hauteur prodigieuse, escarpée de toutes parts, & séparée des Montagnes voisines, beaucoup plus étroite par le bas ; de sorte qu'elle ressemble de loin à une Pyramide renversée. » (1).

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Mont Aiguille, en pyramide inversée

Représentations du Mont Aiguille en forme de pyramide inversée, surmontée de la phrase : Supereminet invius « Il se dresse, inaccessible » (1), érigée en devise pour le roi Louis XIV (figure de gauche 2, figure de droite 3).

Mont Aiguille, pyramide inversée

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Malgré le démenti de l'Académie Royale des Sciences au début du siècle suivant : « ...et que même ce rocher n'a nulle figure de piramide renversée ... », cette représentation aura la vie dure et plus encore le nom de « Mont Inaccessible » !

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Mont Aiguille, vu du Col de Papavet Mont Aiguille, vu de la Tête de Gaudissart

Mont Aiguille vu du Col de Papavet, au nord-est et de la Tête de Gaudissart, au nord-est.

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La plus ancienne mention historique du Mont Aiguille figure dans Le Livre des Merveilles, Divertissement pour un Empereur, (3e partie des Otia imperialia, 1215) de l'anglais Gervais de Tilbury, nommé maréchal de la cour impériale pour le royaume d'Arles par l'empereur Otton IV. Depuis Arles où il résidait il se rendit en Dauphiné et réalisa l'ascension du Grand Veymont d'où il aperçut le Mont Aiguille. De loin, il crut voir des draps blancs mis à sécher, à la manière des lavandières, sur la prairie sommitale (4). Cette confusion avec les névés de fin de printemps alimenta toutefois diverses légendes. Surtout, il désigna le sommet par l'expression aequa illi = « égal à un autre » : de rupe quae nominatur aqua villa, equa illa et rupes altissimus aequa illi (5), autrement dit littéralement le « rocher très haut égal à l’autre ».

Il s'agit effectivement d'une caractéristique du Mont Aiguille, relevée par nombre d’observateurs qui a fait dire que son « nom dérive sans doute d'une confusion phonétique avec l'expression latine aequa illi qui signifie que le mont culmine à une altitude équivalente à celle de la falaise orientale du Vercors dont il se détache » (6).

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Mont Aiguille depuis Clelles

Mont Aiguille vu de Clelles

Victor-Désiré Cassien, Album du Dauphiné, t. 4,1839

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Au XIVe siècle, c'était Agullia. Antoine de Ville (7), son premier ascensionniste officiel, le 26 juin 1492, reprend ce nom : Agulle et lui rajoute le qualificatif « fort », Agulle fort, pour illustrer son ascension en forme de prise de forteresse : « Escript le XXVIIIe jour de jung sur Agulle fort, dyt mons in ascensibilis, car le peuple du pays l'apellent l'Agulle et pour ce que le sceroynt oblyer, je l'ai fait nommer [...] » (8).

Ce texte fut le point de départ d'un contresens car beaucoup, s'appuyant sur le mot occitan agulha = « aiguille », passèrent un peu vite à cette version aiguë. En effet, le nom Agulle est à aborder avec prudence car il résulte à la fois d'une transcription de l'oral à l'écrit et d'une francisation en moyen français d'un mot occitan.

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Mont Aiguille, vu de l'aval de Chichilianne Mont Aiguille, vu du nord
Mont Aiguille vu de la plaine de Boiron, au sud. Mont Aiguille vu du Col de l'Allimas, au nord.

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Néanmoins, à ce stade, le passage de aequa Illi à Agulle reste possible par attraction paronymique : aequa illi serait tombé dans l’attraction de l’occitan agulha = « aiguille », de prononciation similaire.

Les noms furent retranscrits respectivement l'Eguille fort et Léguille en 1895 (9).

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Mont Aiguille, vu du sud-ouest Mont Aiguille, vu du sud-ouest
   
Mont Aiguille, vu du sud-ouest Mont Aiguille, vu de la Tête de Gaudissart

Mont Aiguille vu de Chevalière et de Chaumailloux, au sud-ouest.

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En fait, il ne faut pas voir les choses avec l’œil de l’alpiniste du XXIe siècle, où le mot aiguille a un sens bien précis, mais avec celui du campagnard occitan de la fin du Moyen Âge vivant au pied de ce sommet, indifférent à sa signification d'origine, mais soucieux de le rattacher à un mot compris.

Agulha, aguïo en graphie mistralienne, est un mot occitan qui désigne « un rocher en pointe, un pic ». Le mot français en est issu. C'est un terme générique, « aiguille, pointe rocheuse, sommet pointu », ancien français aguille, latin acucula, « petite aiguille », diminutif du latin acula, « aiguille », racine indo-européenne *ak-, « pointu » (10).

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Mont Aiguille, vu de l'ouest Mont Aiguille, vu de l'ouest

Mont Aiguille vu du Pas de la Selle, à l'ouest.

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On pourrait en rester là  et on aurait alors un Mont Aiguille au sens de « mont (d’altitude) égal(e) à l’autre » devenu « aiguille » malgré lui alors qu'il n'en a pas la forme ! Le pléonasme ne doit pas surprendre car on en rencontre fréquemment dans les noms de sommets anciennement nommés. On aurait aussi bien pu avoir le Roc d'Arguille, comme en Chartreuse !

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Mont Aiguille, vu de Tête Chevalière Mont Aiguille, vu de Tête Chevalière

Mont Aiguille vu de Tête Chevalière, au sud.

En forme de vaisseau redressé, avec la "garenne à chamois" au sommet.

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il faut toutefois aller plus loin et considérer qu'il y a peut-être Aiguille et Aiguille. Ainsi, le Mont Aiguille est-il l'éponyme du Pas de l'Aiguille au sud-ouest de Richardière, hameau de Chichilianne situé au pied du Mont Aiguille ?

A. Francès, approuvé par J.-C. Bouvier, a démontré que la réponse est non : le Mont Aiguille n'est pas l'éponyme du Pas de l'Aiguille (11). Ce dernier doit son nom à un "gendarme" rocheux que l'on aperçoit dans la montée au Pas, en avant de la falaise. C'est une vraie « aiguille » que les patoisants locaux nomment l'Adjulyo, variante de prononciation de aguïo, et que l'on retrouve dans le nom commun de « l'aiguille à coudre », l'adjulyo a kouze. Ce nom diffère du nom patois du Mont Aiguille qui est l'Eyguèyo (12), de l'occitan èygo = « eau » (13). Ce sont les « sources qui sourdent à la base de la falaise » qui ont donné son nom au Mont Aiguille (11) !

J. S. Morabito en rajoute une couche en donnant une origine pré-indo-européenne au nom à partir des deux racines *akwa, « eau » + *ulla, « source » = *akwulla, « source d'eau » > aqua wulla > aqua villa > equa illa > eguilla > eyguèyo > aiguille (14). Cqfd ! Finalement Gervais de Tilbury n'avait pas si mal  noté que cela le nom du... Mont Aiguille au début du XIIIe siècle.

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On est donc très loin du  « mont (d’altitude) égal(e) à l’autre » ou du « mont (en forme d')aiguille ».

On a abouti en réalité au « mont aiguière », au « mont des sources d'eau ».

En définitive, le Agulle fort, d'Antoine de Ville, ou mieux, étymologiquement et phonétiquement, Fort l'Eguille de 1895, désigne simplement un « château d'eau ».

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Notes :

(1) B. Angelin, « Notoriété et légendes du mont » in J. Lesage et al., "Pour l'amour du nom du Roy", le mont Aiguille, éditions du Grésivaudan, 1992, p. 70-72.

(2) Père Menestrier (?), Les Sept miracles de Dauphiné presentez à Monseigneur le duc de Bourgogne et à Monseigneur le duc de Berry par les pères jésuites du collège Royal-Dauphin de Grenoble, 1701.

(3) P. Bourdeau et al., Le mont Aiguille et son Double, P.U.G., 1992, page de couverture. Dessin Desperao, d'après la gravure La montagne inaccessible extraite de Le musée des familles, janvier 1840, p. 113.

(4) G. de Tilbury, Le Livre des Merveilles, Divertissement pour un Empereur, (3e partie des Otia imperialia, 1215), traduit et commenté par Annie Duchesne, préface de Jacques Le Goff, Paris, Les Belles Lettres, 1992, ch. 42. Jacques Le Goff décrit les Otia imperialia comme « une sorte d'encyclopédie des merveilles du monde et de la nature en notices et historiettes », en définissant une merveille, comme un phénomène naturel qui échappe à la compréhension.
(5) Cités par H. Suter, Noms de lieux de Suisse romande, Savoie et environs et Termes régionaux & noms de lieux de Suisse romande & environs, à l'entrée Agouillons.

(6) E. Decamp, O. Majastre, « Le mont Aiguille et son Double » in P. Bourdeau et al., op. cit., p. 14.

(7) Antoine de Ville, seigneur de Dompjulien et de Beaupré (vers 1450-1504).

(8) A. de Ville, Lettre au président du Parlement de Grenoble, 28/29 juin 1492. Citée dans J. Lesage et al., op. cit., p. 55-56. Transcription d'après l'original par Gaston Letonnelier.

(9) « Procès-verbal d'ascension de la montagne du mont Eguille dite Inacessible » in P. Bourdeau et al., op. cit., p. 89-94. Annuaire de la Société des touristes du Dauphiné, 1895.

(10) H. Suter, op. cit., à l'entrée Agouillons.

(11) A. Francès, « Le patoisant au secours de l'étymologiste », Nommer l'espace, Le Monde alpin et rhodanien, 2-4/1997, Grenoble, 1997, p. 32.

(12) En alphabet phonétique Eyguèyo correspondrait à [ɛjˈgɛjɔ], que l'on franciserait en [ɛjˈgɛj], alors que « aiguille (aiguïlle) » correspond à [ɛgɥij].

(13) J.-C. Bouvier, Noms de lieux du Dauphiné, Bonneton, 2002, p. 125.

(14) J. S. Morabito, Atlas de la Ligurie primitive : essai de reconstitution d'une toponymie originelle protoceltique, L'Harmattan, 2014, p. 93-94.

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Références :

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