Massif des Écrins -
Oisans - Vénéon
La Bérarde
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La Bérarde est le dernier hameau à l'amont de la
vallée du Vénéon. Il est situé à 1713 mètres d'altitude au
confluent des vallons de la
Pilatte au sud et des Étançons au nord et au pied
des premiers contreforts des Écrins qui imposent une orientation
nord-sud à la haute vallée.
L'emplacement, abrité et ensoleillé, est judicieux au
débouché des deux vallons autrefois pâturés et qui communiquent par des
cols élevés mais pratiqués avec la Vallouise d'outre mont.
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Le hameau lui-même a perdu tout caractère, les anciennes
maisons ont été entourées de constructions disparates qui ont contribué à
dénaturer le site et à lui enlever tout intérêt autre que sa fonction de point
de départ vers les hauteurs.
Car le hameau est d'une certaine façon victime de son succès.
C'est pour le meilleur un centre d'alpinisme justement réputé, surnommé un peu
pompeusement la Mecque de l'alpinisme en
Oisans, et le point de départ pour de nombreuses randonnées et montées en refuge,
mais c'est aussi pour le pire un centre touristique banalisé à la renommée pour
l'instant surfaite
qui « offre le spectacle consternant d'une village agressé par les nécessités
fonctionnelles »
(1).
La Bérarde : le site et le hameau |
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Juillet 2008 |
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Trop près des sommets, il n'y a pas de vue depuis la Bérarde
même, et les pentes et le
relief y sont rudes, de quoi rebuter les néophytes. Mais il suffit de s'éloigner de peu du village pour
entrapercevoir la formidable face nord-ouest de l'Ailefroide si on va
vers l'aval ou le sommet de la Meije et le Râteau si on va vers
l'amont. On se retrouve vite en plein dans
l'Oisans sauvage de Samivel au contact de la rudesse de la
nature. Certains repartent déçus de leur aller-retour superficiel, d'autres, plus
en communion, auront attrapé le virus. En fait, il faut y venir et y revenir,
de préférence hors saison, pour saisir l'esprit des lieux.
Une montée au belvédère de la Tête de la Maye qui domine le hameau permet
de découvrir l'ampleur du site et achève de convaincre les derniers indécis.
La Bérarde : les environs et le hameau |
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Juillet 2008 |
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Juillet 2008 |
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Août 2009 |
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Août 2009 |
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L'ancien hameau était constitué d'une dizaine de maisons basses
sur deux niveaux toutes orientées dans l'axe de la pente, l'arrière au nord pour d'une part se protéger des avalanches et du vent froid et
d'autre part bénéficier au maximum du soleil. Il dominait la Rive, nom
local du Vénéon, d'une vingtaine de mètres, ce qui le mettait
relativement à l'abri de ses divagations. Par contre, à l'arrière, une simple
levée de terre le protégeait de la menace du Mora, nom du Torrent des
Étançons.
Hormis la chapelle recouverte d'ardoises, les maisons étaient exclusivement
couvertes de chaume que des perches de bois placées en travers sous le faîte
maintenaient en place. L'entrée sur le devant donnait accès à la cuisine,
l'étable semi-enterrée se situait à l'arrière. Les chambres et le fenil étaient
à l'étage. Contrairement à d'autres habitats d'altitude, il n'y avait pas
cohabitation avec les bêtes.
Elles étaient habitées à l'année. Comme aux Étages, il y avait même une
école avec 8 élèves en 1925. Les Bérardins et les Étageois
devaient être près d'une quarantaine à vivre dans chacun des hameaux à
l'ouverture de la route au début des années 1920. Les gens vivaient en autarcie
coupés de la vallée pendant les longs hivers dans une configuration culturelle
de bouts du monde, dont il reste quelques traces dans la résistance aux
contraintes diverses [Laslaz, 2007]. Son dernier habitant permanent
(jusqu'en 2005), Rémy Turc
(2), s'en est allé mettant
un terme à la vie à l'année du village.
La
Bérarde vers 1890 |
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Les maisons à toits de chaume maintenu
par des perches transversales au faîte.
À gauche, la
levée de terre faisant digue le long du Mora (Torrent des
Étançons).
La chapelle construite en 1892 est toute neuve.
Les vieilles fermes des paysans-guides seront détruites
entre 1925 et 1940. |
Collection Vallouimages - Photo
LL - N°604 |
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L'existence du hameau est déjà attestée aux alentours de l'an
Mil. Il se situait plus en aval, au lieu-dit Vieille Bérarde où des
traces très arasées ont été identifiées. On les associe à une possible
motte castrale, fortification de
terre caractéristique de l'an Mil, située au dessus de l'ancien hameau
(3), avec des
aménagements de pierre à sa base. Un lieu-dit le Château existe
d'ailleurs sur le site de la Bérarde (4).
L'ancien hameau a été abandonné à une date imprécise pour être reconstruit à son
emplacement actuel moins exposé aux catastrophes naturelles et plus ensoleillé
(5). Le hameau
est mentionné en 1339 sous la forme
Berardi au côté de 9 autres dont Istagia, les Étages, puis
à nouveau en 1345 (6).
Certains veulent voir dans la Bérarde le village des
bergers. On se trouve probablement en face d'une vieille idée reçue,
transmise d'auteur en auteur sans analyse critique, qui
voudrait que le berger s'appelât berard en occitan, et même aussi
pendant qu'on y est en francoprovençal pour le vallon de Bérard au
dessus de Vallorcine, en Haute Savoie. Rien ne confirme cette
assertion. Mistral, souvent évoqué (7),
cite un nom d'homme d'origine germanique
et mentionne aussi le sommet du
Grand Bérard, point culminant du petit Massif du Parpaillon,
mais ne parle pas de berger. Il en est de même dans tous les
dictionnaires, lexiques, glossaires des différentes variantes de l'occitan et du
francoprovençal vérifiés pour l'occasion, ainsi que pour les anciens consultés,
souvent encore patoisants (8).
Par contre, l'hypothèse patronymique à partir du nom d'une vieille famille de la
noblesse dauphinoise est plausible (9,
10), surtout en considérant
l'existence possible d'une motte castrale, mais il semble néanmoins plus naturel
de considérer le hameau pour ce qu'il est, à savoir le hameau des hauteurs, à partir
de la base oronymique *BAR, *BER (11),
avec possible attraction par le patronyme (12).
Les Bérardins étaient plus sûrement de solides paysans
montagnards, y compris donc dans leur gentilé, qui cultivaient durement leurs petits lopins de terre gagnés sur les
pierriers sur les pentes inférieures ensoleillées de la Rochaille et de
la Tête de la Maye.
La Bérarde : de 1890 à 1920 |
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Vers 1890 |
Vers 1900 |
Vers 1920 |
Vers 1900 |
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Vers 1920 |
Vers 1920 |
Vers 1920 |
Vers 1920 |
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La vie s'est progressivement transformée avec l'arrivée de la route en 1921, des
voitures en 1923 et des touristes. Les toits de chaume, très endommagés sur les
dernières photos, ont été remplacés par des toits de tôle ; l'agriculture a
définitivement disparu dans la 2e moitié du XXe siècle ; le pont de bois initial
a vite été remplacé par un pont de pierre après l'arrivée de la route ; les vieilles auberges apparues dès
la fin du XIXe siècle pour accueillir les alpinistes et célèbres pour leurs
puces, se sont transformées ou ont disparu ; des bâtisses banales et
fonctionnelles les ont remplacées autour de la Place ; des parkings inesthétiques ont été
construits dans la zone de divagation du Vénéon ; plusieurs petites
constructions sans style se sont installées sur les terrasses sous la Tête de
la Maye ; il y a toujours une école mais il s'agit d'une école d'escalade à
la bonne saison...
La Bérarde : de 1920 à 1940 |
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Wilhem Giese - Vers 1920 |
Vers 1920 |
Vers 1920 |
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Vers 1920 |
Vers 1920 |
Vers 1930 |
Vers 1940 |
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Pour le meilleur et pour le pire, le village ne dépend plus que du tourisme. La
route a été élargie, même un peu trop, lui faisant perdre sa réputation
et surtout permettant l'accès aux camping-cars, ce dont on aurait pu se passer.
Le constat cité en début d'article ne pouvait pas rester sans réaction et, enfin et
heureusement,
un ambitieux projet de requalification du site a été lancé, certes au prix du
déclassement du statut de réserve naturelle de la Bérarde, mais celui-ci
n'était pas approprié à un lieu habité et il portait d'ailleurs une grande part
de responsabilité dans le laisser-aller qui présidait aux aménagements. Le
hameau est ainsi en cours d'embellissement, la place et le parking ont déjà été
rénovés et le résultat est déjà intéressant.
La Bérarde : de 1940 à 1960 |
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Vers 1940 |
Vers 1940 |
Vers 1950 |
Vers 1950 |
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Vers 1950 |
Vers 1950 |
Vers 1950 |
Vers 1950 |
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Mais le projet phare est la construction d'une Maison de la montagne,
répondant aux exigences HQE et d'accessibilité aux handicapés, pour un coût de
réalisation budgété de près de 4 millions d'euros. Elle regroupera entre autres
un office de tourisme, une antenne du Parc National des Écrins et
un bureau météo.
Après avoir été un centre alpin majeur et la Mecque de
l'alpinisme, les Bérardins réussiront-ils à renouveler l'attractivité
de leur village fondée sur sa beauté retrouvée (13)
et sur sa valorisation, dans un contexte global de baisse de la pratique de
l'alpinisme et de la randonnée (14)
et de forte concurrence entre les centres alpins ?
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Notes :
(1) Jean-François Lyon-Caen, in
La Bérarde, transformation d'un hameau de montagne,
Patrimoine de l'Isère, Oisans, page 156. Encore ici
manie-t-on un peu la langue de bois car entendus ou lus ici ou
là les commentaires sont beaucoup plus durs.
(2) Rémy Turc, guide BHM, est décédé à
l'âge de 72 ans en août 2009. Il est considéré comme le
dernier guide-paysan.
(3) Chantal Mazard, in
L'an Mil en Oisans, Patrimoine de l'Isère, Oisans,
pages 56 et 57, qui précise toutefois que seules des
investigations archéologiques pourraient permettre de
trancher avec une hauteur naturelle. Néanmoins la
présence d'aménagements circulaires en pierres à sa base
indique une utilisation humaine, note 16 page 93.
(4) Ibid., Cadastre de 1830 et
Reconnaissance de 1345, note 16 page 93.
(5) Chantal Mazard et
Daniel Roche in Les habitats désertés de
Saint-Christophe-en-Oisans, Patrimoine de l'Isère,
Oisans, page 73.
(6) Enquête delphinale de 1339 et
Reconnaissance de 1345.
(7) Frédéric Mistral,
page 267.
(8) Roland Boyer juge
également cette hypothèse hautement douteuse, à propos
des Bérard de Vallorcine, page 24.
(9) Cette possibilité est en elle-même
beaucoup plus crédible que l'hypothèses des bergers,
d'autant plus qu'une motte castrale est pressentie. À
partir d'un patronyme Bérard, du germanique BER =
ours et HARD = dur. André Faure
identifie ainsi dans les Hautes-Alpes au moins
cinq
toponymes Bérard, issus de ce patronyme.
(10) Une famille Berardi de
la noblesse dauphinoise est attestée en Oisans au
village de la Garde au XIVe siècle, mais le
seigneur auquel les habitants de la vallée sont
redevables n'est pas un Berardi, mais un
Richardi. Ibid., note 4, page
77. Par contre, un lieu-dit Richard existe bien
en aval des Étages sous les Fumas avec
indication de cabanes sur la
Carte
du haut Dauphiné - Duhamel, 1892.
(11) Paul-Louis Rousset,
page 41.
(12) Au XIVe siècle, patronyme et
toponyme étaient tous deux Berardi.
(13) Par beauté retrouvée, il faut
considérer l'environnement du village, ses parkings, sa voirie mais
aussi et surtout son bâti privé après plus de 30 ans de
laisser-faire.
(14) Baisse durement sanctionnée par la
fermeture du Centre UCPA, mais l'été 2009 dénote dans
cette tendance
lourde de baisse de fréquentation de la montagne.
Certes, il est sans doute trop tôt pour dire s'il s'agit d'un
élément purement conjoncturel, favorisé par une
excellente météo et le repli sur l'hexagone dû à la
crise, ou s'il s'agit d'une bénéfique inflexion à long terme.
(15) J. Carrel était le
petit-fils de Jean-Antoine Carrel du
Val Tournanche, le Bersagliere, rival
valdôtain de Whymper au Cervin. Son
père s'était installé à Chamonix avec ses 5
enfants et avait ensuite suivi Auguste Tairraz
à la Bérarde. C'est ainsi que outre les noms bien
locaux, Rodier, Turc, etc.,
on trouve des Tairraz et des Carrel,
dont les aïeux ont migré de Chamonix et du Val
Tournanche. J. Carrel fut longtemps un
maire entreprenant de Saint-Christophe. On lui
doit l'installation des adductions d'eau et de
l'électricité.
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Références :
Barnola, 2008 : Barnola
(P) - Noms de lieux, quelle histoire, Édition Barnola /
Vuarchex, Amis du Musée Matheysin.
Boyer, 1999 : Boyer (B) - Le
voyage au pays de la Meije.
Boyer, 1987 : Boyer (R) - Les
noms de lieux de la région du Mont-Blanc, Éditions
Mythra, Sallanches.
Bruhl, 2008 : Bruhl (E) - Accident
à la Meije, Hoebeke, réédition 2008 : intéressantes
descriptions de la Bérarde, de l'Hôtel
Tairraz.
Conservation du patrimoine de l'Isère,
2001 : Oisans, Musée Dauphinois.
Faure, 1998 : Faure () - Noms de
lieux et noms de familles des hautes-Alpes, Espace
Occitan, Gap.
Isselin, 1967 : Isselin (H) -
La Meije, Arthaud.
Laslaz, 2007 : Laslaz (L) - La
Meije, un haut lieu alpin, éditions gap.
Lestas, 1986 : Lestas (P) - Le Dauphiné
d'en haut, Arthaud.
Mistral, 1979 : Mistral (F) - Lou
Trésor dou Félibrige ou Dictionnaire provençal-français,
réédition 1979.
Rousset, 1988 : Rousset (PL) -
Les Alpes et leurs noms de lieux.
Sentis, 1982 :
Sentis (G) - l'Oisans, Histoire, Traditions,
Légendes.
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